Histoire de Marie-Antoinette

La nuit du 9 au 10 août

Chapitre VI

p.299-315

Le 9 août, entre onze heures et minuit, l a Reine entend le tocsin de l’Hôtel de ville.

La Reine sait tout ; elle a lu les rapports, elle a interrogé les émissaires : elle sait le complot des fédérés, les rassemblements secrets dans un cabaret de la Râpée, la convocation extraordinaire des sociétés, la convocation des quarante-huit sections. La commune de Paris réunie en assemblée générale, Pétion, Danton, Manuel commandant à la Commune ; les commissaires nommés pour mettre les faubourgs sur pied. Elle sait que la moitié de la garde nationale est du parti des Jacobins ; elle sait que la Pipe et la fille Audu attendent leur monde, et que Nicolas est allée prendre son costume du 2à juin… La Reine attendait. Le jour suprême est enfin venu : la Reine est prête.

La Reine descend chez le Dauphin : il dort. Un coup de fusil part dans la cour des Tuileries : « Voilà le premier coup de feu, dit-elle, malheureusement ce ne sera pas le dernier !» Et elle monte chez le Roi avec Madame Elisabeth. Pétion entre : « Monsieur, lui dit Louis XVI, vous êtes le maire de la capitale ; et le tocsin sonne de toutes parts ! Veut-on recommencer le 20 juin ? – Sir, répond Pétion, le tcsin retentit malgré ma volonté ; mais je me rends de ce pas à l’Hôtel de ville, et tout ce désordre va vesser. » Et Pétion va pour sortir : « monsieur Pétion, dit aussitôt la Reine, le nouveau danger qui nous menace a été organisé sous vos yeux, nous ne pouvons pas douter. Dès lors vous devez au Roi la preuve que cet attentat vous répugne. Vous allez signer, vous allez signer comme maire l’ordre à la garde nationale parisienne de repousser la force par la force ; et, ajoute la Reine, vous reserez auprès de la personne du Roi. » Pétion devient rouge, s’incline devant le regard  de la Reine, et signe l’ordre. La Reine a  sauvé l’honneur du Roi : il pourra du moins mourir, la loi d’une main, l’épée de l’autre !

 

Au point du jour, le commandant général des gardes nationales, Mandat, vient informer le Roi qu’il est appelé à l’Hôtel de ville, par les représentants de la Commune, pour entrer en négociations. La Reine supplie Mandat de ne pas quitter le Roi ; mais le Roi demande à Manadat ded se rendre à l’invitation de la Commune. Mandat part en disant : « Je ne reviendrai pas ! » Dans une heure, sa tête sera promenée sur une pique !

Un décret de l’Assemblée arrive au château, qui mande Pétion auprès d’elle. La Reine conjure le Roi d’annuler ce décret attentatoire. Elle lui représente qu’en perdant cette garantie, il ne lui reste plus qu’à transiger. Louix XVI obéit à l’Assemblée, et laisse partir Pétion.

A quatre heures la Reine sort de la chambre du Roi, et dit à ses femmes « qu’elle n’espère plus rien. » Cependant elle presse les ordres secrets, elle hâte l’arrivée des bonnes sections ; elle songe à tout, et jusqu’à faire garnir par les officiers de bouche les buffets de la galerie de Diane. Elle veut montrer et elle montre à ceux qui l’entourent un visage serein, et sa parole échappe à ses angoisses : « Quel temps magnifique ! dit-elle à M. de Lorry en s’approchant d’une croisée du Carrousel, quel beau jour nous allions avoir sans tout ce tumulte ! »

A cinq heures et demie, al Reine parcourait avec le Roi et les enfants les salons et les galeries où, depuis le soir, trois cents gentilshommes, dont beaucoup étaient des vieillards et d’autres des enfants, attendaient l’heure de donner leur sang : « Vive la Reine ! vive le Roi ! » un seul cri partait de tous les cœurs.  La reine alors déterminait le roi à descendre au jardin, et à parcourir les rangs des sections de la garde nationale. « Tout est perdu ! » disait la reine à le rentrée du Roi ; mais, voyant des grenadiers des Filles-Saint-Thomas venir prendre place dans les appartements au milieu des rangs de la noblesse, elle recouvrait un moment son courage et l’énergie de la parole. Comme un commandant de la garde nationale osait demander l’éloignement des gentilshommes armés : « Ce sont nos meilleurs amis, s’écrie la Reine avec chaleur notre meilleur appui. Mettez-les à l’embouchure du canon et ils vous montreront comme on meurt pour son Roi ! » Et se tournant vers les grenadiers des Filles-Saint-Thomas : « N’ayez point d’inquiétude sur ces braves gens, ils sont vos amis comme les nôtres ; no intérêts sont communs ; ce que vous avez de plus cher, femmes, enfants, propriétés, dépend de cette journée ! »

La grande et solennelle minute dans l’histoire ! Le cœur battait à ces courtisans impatients de mourir. Le peuple approchait… Une députation du directoire du département est annoncée. Le procureur général syndic de la commune, Roederer, demande à parler au Roi sans autres témoins que sa famille : « Sire, dit-il, Votre Majesté n’a pas cinq minutes à perdre ; il n’ya de sûreté pour elle que dans l’Assemblée nationale ! » Et en quelques mots émus,  il peint la situation, la défense impossible, la garde nationale mal disposée, les canonniers déchargent leurs canons. Le marchand de dentelles de la Reine, administrateur du département, prenant la parole pour appuyer Roederer : « Taisez-vous, monsieur Gerdet, dit la Reine ; il ne vous appartient pas d’élever ici la voix : taisez-vous. Monsieur… laissez parler monsieur le procureur général syndic. »  et, se tournant vivement vers Roederer : « Mais, Monsieur, nous avons des forces… - Madame, tout Paris marche. » Mais la Reine n’écoute plus Roederer. Elle parle au roi, elle parle au père du Dauphin,  elle parle à l’héritier  du trône de Louis XVI, et de Louis XIV, elle parle à l’honneur de Louis XVI, elle parle à son cœur… Le Roi reste muet. Roederer insiste auprès de lui sur le péril de toute sa famille. La Reine combat vainement Roederer avec ce qui lui reste de voix et de force. « Il n’y a plus rien à faire ici, » murmure le Roi, et, élevant la voix : « Je veux que sans plus tarder on nous conduise à l’Assemblée législative. Je le veux. _ Vous ordonnerez, avant tout, Monsieur, que je sois clouée aux murs de ce palais ! » S’écrie la Reine d’un ton de révolte…  Mais les femmes qui l’entourent, la princesse de Tarente, madame de Lamballe, Madame elisabeth, la supplient avec des pleurs ; et la Reine fait au Roi le sacrifice de sa dernière volonté. « Monsieur Roederer, Messieurs, fait-elle en se retournant vers al députation, vous répondez de la personne du Roi, de celle de mon fils ? _ Madame, répond Roederer, nous répondons de mourir à vos côtés. » _ « Nous reviendrons ! » dit la Reine, en essayant de consoler ses femmes désolées ; et, accompagnée de madame de Lamballe et de madame de Tourzel, elle suit le Roi.

Dans le trajet à pas lents du palais aux Feuiltants, elle pleure, elle essuie ses larmes, et pleure encore. A travers la haie des grenadiers de la garde nationale, la populace l’entoure et la presse de si près que sa montre et sa bourse lui sont volées. Arrivée vis-à-vis le café de la terrasse, c’est à peine si la Reine s’aperçoit qu’elle enfonce dans des ta de feuilles. « Voilà bien des feuilles, dit le Roi ; elles tombent de bonne heure cette année ! » Au bas de l’escalier de la Terrasse, hommes et femmes, brandissant des bâtons, barrent le passage à la famille royale. « Non ! _ clame la foule, _ ils n’entreront pas à l’Assemblée ! ils sont la cause de tous les malheurs ; il faut que cela finisse ! À bas ! À bas ! » (…)