La femme au 18ème siècle. Goncourt, œuvres complètes, tome 7, (15_16)

La femme au 18ème siècle.  1, tome 15

Chapitre 1: La naissance _ le couvent _ le mariage

L'importance du XVIIIème siècle

(p. 6)

Un siècle est tout près de nous. Ce siècle a engendré le nôtre. Il l'a porté et l'a formé. Ses traditions circulent, ses idées vivent, ses aspirations s'agitent, son génie lutte dans le monde contemporain. toutes nos origines et tous nos caractères sont en lui. Il est une ère humaine, il est le siècle français par excellence.

La relation entre la fille et sa mère

(p. 11)

quand au dix-huitième siècle la femme naît, elle n'est pas reçue dans la vie par la joie d'une famille. Le foyer n'est pas en fête à sa venue; sa naissance ne donne point au cœur

 des parents l'ivresse d'un triomphe: elle est une bénédiction qu'ils acceptent comme une déception. (...)

Bientôt une nourrice emportait au loin la petite fille, que sa mère n'ira guère voir chez sa nourrice qu'au temps des tableaux de Creuze et d'Aubry.

(p.15)

Des petits appartements où la gouvernante gardait la petite fille, la petite fille ne descendait guère chez sa mère qu'un moment, le matin à onze heures, quand entraient dans la chambre aux volets à demi fermés les familiers et les chiens. "comme vous êtes mise! disait la mère à sa fille qui lui souhaitait le bonjour. qu'avez-vous? vous avez bien mauvais visage aujourd'hui. allez mettre du rouge: non, n'en mettez pas, vous ne sortirez pas aujourd'hui." Puis, se tournant vers une visite qui arrivait: "comme je l'aime cette enfant! viens, baise-moi, ma petite. Mais tu es bien sale; va te nettoyer les dents. Ne me fais pas donc tes questions, à l'ordinaire; tu es réellement insupportable. _ ah! Madame, quelle tendre mère, disait la personne en visite. _ Que voulez-vous! répondait la mère, je suis folle de cette enfant".

Point d'autre société, d'autre communion entre la mère et la petite fille que cette entrevue banale et de convenance, commencée et finie le plus souvent par un baiser de la petite fille embrassant la mère sous le menton pour ne pas déranger son rouge. L'on ne trouve point trace, pendant de longues années, d'une éducation maternelle, de ce premier enseignement où les baisers se mêlent aux leçons, où les réponses rient aux demandes qui bégayent. L'âme des enfants ne croît pas sur les genoux des mères.

Le Mariage des jeunes filles

(p. 32)

Généralement le mariage de la jeune fille se faisant presque immédiatement au sortir du couvent, avec un mari accepté et agréé par la famille. Car le mariage était avant tout une affaire de famille, un arrangement au gré des parents, que décidaient les considérations de position et d’argent, des convenances de rang et de fortune. Le choix était fait d’avance pour la jeune personne, qui n’était pas consultée, qui apprenait seulement qu’on allait la marier très prochainement, par l’occupation où toute la famille était d’elle, par le mouvement des marchandes, des tailleurs, par l’encombrement des pièces d’étoffe, des fleurs, des dentelles apportées, par le travail des couturières à son trousseau. (…)

(35) La grande jeunesse, l’enfance presque, l’âge sans forces et sans volonté où l’on mariait les jeunes filles, l’affection sévère, la tendresse sans épanchement, sans familiarité, qu’elles trouvaient auprès de leurs mères, la crainte de rentrer au couvent, les pliaient à la docilité, les décidaient à un consentement, les décidaient à un consentement de premier mouvement et qu’enlevait la présentation. D’ailleurs c’était le mariage, et non le mari, qui leur souriait, qui les séduisait, qui faisait leur désir et leur rêve. Elles acceptaient l’homme pour l’état qu’il allait leur donner, pour la vie qu’il devait leur ouvrir, pour le luxe et les coquetteries qu’il devait leur permettre

La vieillesse de la femme

(Tome 2 la Femme au XVIIIème siècle Œuvres complètes vol. 7 tome XVI

(pp. 174_193)

Trois fins s’offrent à la femme du dix-huitième siècle qui n’est pas plus jeune : la dévotion, les bureaux d’esprit, les intrigues de cour.[1]

Aux approches de la vieillesse, un certain nombre de femmes se retiraient dans les pratiques de la vie religieuse : elles se vouaient au renoncement. Elles quittaient un soir le monde, un matin les mouches, visitait les pauvres, fréquentait les églises. On les voit passer allant aux sermons, courant les bénédictions, vêtues de couleurs sombres, dans quelque fourreau feuille morte, la coiffure basse et faite pour entrer dans un confessionnal. Un laquais les suit portant leurs Heures dans un sac de velours rouge. Mais que l’on cherche au-delà de cette image, de cette silhouette de dévote, que l’on touche au fond de cette femme, à l’âme de cette dévotion, nul document du temps ne témoigne d’un de ces grands courants de religion, profonds et violents, qui arrachent et enlèvent les cœurs. La piété du siècle précédent, sévère, dure, ardente d’intolérance, toute chaude encore des guerres de foi, va s’adoucissant et s’éteignant dans ce siècle trop petit et trop amolli pour elle : elle était la flamme qui dévore, elle n’est plus qu’un petit feu qui se laisse entretenir. (…) La dévotion dans cette société apparaît simplement comme une règle commode des pensées, un débarras des superfluités et des fatigues mondaines, un arrangement qui simplifie la vie matérielle, qui ordonne la vie morale. Elle semble encore une marque de délicatesse, presque d’élégance, un signe de personne bien née. Elle est de ton ; et il est reçu, dans l’extrêmement bonne compagnie, qu’il n’est pas de façon mieux apprise, plus convenable, plus digne d’un certain rang, plus décent en un mot, pour vieillir et pour finir (…)


 

[1] Chevrier y ajoute une quatrième fin : le jeu et l’habitude de donner à jouer.